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Démons personnels
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Mélanie Cottencin
Titre Original : Personnal Demons
Copyright © Jana Oliver
Démons personnels
Une histoire courte sur Denver Beck
**Se passe trois ans avant le premier tome de Devil City**
Août 2015
Atlanta, Géorgie
Denver Beck savait qu'il devait faire ses preuves ou renoncer. Chaque apprenti piégeur de démons passait ce test : aujourd'hui, il piégerait son premier démon de Classe Trois. Si il réussissait, il franchirait une autre étape pour avoir le grade de compagnon. Dans le cas contraire, il aurait prouver à beaucoup de personne qu'ils avaient eu raison – qu'il n'était rien de plus qu'une perte de temps.
Durant les derniers mois, il avait été placé sous l'oeil attentif d'un maître piégeur, apprenant les tenants et les aboutissements du métier. En vérité, Paul Blackthorne était plus un père qu'un professeur. Beck avait toujours respecté cet homme, un veuf sympathique qui avait la petite quarantaine. Même après que Paul ait perdu son boulot d'enseignant et qu'il soit devenu piégeur de démons, leur amitié avait perduré. Maintenant, c'était l'occasion de lui montrer combien il pouvait être bon.
Bien qu'on pouvait trouver les créatures de l'Enfer partout dans Atlanta, ils aimaient se rassembler dans le quartier de Five Points, juste au sud du centre-ville. Les piégeurs, un groupe d'hommes mal assortis venant de tous les horizons, l'appelait « Demon central ». C'était le meilleur endroit pour trouver une des plus féroces créatures de l'Enfer de Lucifer, un Gastro. Les Trois, comme les appelaient les piégeurs, étaient baptisaient « machines à tuer ».
Paul et lui avaient été appelés pour piéger un tel monstre. Alors qu'ils prenaient un long escalator pour descendre dans les profondeurs de la station Peachtree, Beck remonta la bretelle de son lourd sac à dos de piégeur pour l'empêcher de glisser de son épaule. Il était chargé de l'équipement habituel du piégeur : un long tuyau en acier de soixante centimètres, d'un sac contenant des entrailles de poulet, de sphères magiques et de quelques bouteilles d'eau bénite. Avec la chaleur, le poulet commençait à sentir mauvais.
En dessous d'eux survint la plainte stridente et caractéristique d'un des trains entrant dans la station. Bien que la ville soit en faillite, les trains du MARTA continuaient de fonctionner, quoique de manière erratique. La station Peachtree était l'une des principales lignes de métro, située sous terre, au cœur de la ville.
Son t-shirt lui collait à la peau à cause de la chaleur d'août. Beck passa la main dans ses cheveux blonds et courts comme les militaires. Il y avait une histoire particulière avec cette station et c'en était pas une bonne. La dernière qu'il était venu, il avait essayé de piéger un Pyro, un démon aimant le feu. Il avait sérieusement foiré la capture et une équipe luttant contre les produits dangereux (les décontamineurs) avait été appelée pour s'occuper du nettoyage. La Guilde des Piégeurs de Démon leur avait reproché ce fiasco. Cela lui avait presque coûter sa carte d'apprenti.
Si il foirait cette fois, il ferait parti du passé.
Pourquoi je fais ça ? Je dois être fou. Malheureusement, un vétéran de vingt et un ans ne pouvait pas faire grand chose à moins qu'il voulait violer la loi ou vivre dans la rue.
Un gamin dans l'autre escalator lâcha un cri de guerre et Beck s'accroupit instinctivement, le cœur battant et la bouche sèche. Lorsqu'il aperçut la source du bruit, il se releva, se sentant idiot.
Il était revenu du Moyen-Orient depuis quelque mois. Tous comme les bruits quotidiens, le genre qu'ignoraient les autres personnes, il devait contrôler ses sens renforcés par la guerre. Il se retrouva automatiquement à scruter les visages, cherchant des ennemis, des gens qui pourraient lui tirer dans le dos ou provoquer une série d'explosions.
En Afghanistan, cette prudence extrême lui avait sauvé la vie. Bien que la guerre s'était soi-disant essoufflée, il y aurait toujours quelqu'un qui aimerait tuer un groupe d'Américains, surtout s'ils portaient l'uniforme. Un après-midi, une bombe se trouvant au bord de la route avait presque failli le tuer.
Peu importe ses efforts, Beck était encore trop tendu pour laisser baisser sa garde.
Son mentor le remarqua.
‒Les seuls méchants ici sont les démons, dit doucement Paul. Pas besoin d'être si nerveux.
‒ Je ne peux pas m'en empêcher. C'est comme ça que je suis à l'heure actuelle.
‒ Ce n'est pas une mauvaise habitude, Den, continua Paul. C'est juste que ça détourne ton attention des vraies menaces. (Son ami lui sourit.) Ne t'inquiète pas, tu vas très bien t'en sortir.
‒ Ravi de voir que l'un de nous le pense.
La Guilde répertoriait les démons selon leur létalité et leur intelligence générale. Heureusement, les Gastros n'étaient pas si intelligents, mais ils le compensaient avec une férocité pure. Les Trois mesuraient environ un mètre vingt, leur corps était couvert de fourrure, en général noire. Les plus jeunes étaient dodus et n'avaient qu'une seule rangée de dents, en haut ainsi qu'en bas. Les adultes avaient plus de dents et étaient très agressifs.
Bien que Paul ne laisserait pas cette créature le manger, il n'y avait rien pour l'empêcher d'arracher les intestins de Beck avant que son ami le coince avec une sphère d'Eau bénite.
‒ Le démon pourrait se cacher dans les tunnels ou dans un des trains, remarqua Paul, toujours en mode professeur. Que proposes-tu pour le trouver ?
‒ Guetter les cris ? plaisanta Beck.
‒ Parfois, ce n'est pas si facile.
Puis les cris commencèrent.
‒ Ah merde ! dit Beck et il détala, dépassant à la hâte les autres personnes qui se trouvaient dans l'escalator.
Une fois que Paul et lui atteignirent le quai, ils trouvèrent un groupe de civils qui s'empressaient d'aller ailleurs. La raison de leur panique se tenait à environ dix mètres de là – un Gastro. Celui-ci était plus mince, avec des muscles épais sous la fourrure, et il arborait deux rangées de dents mal alignées. Six serres dépassaient de chaque patte et ses yeux étaient deux lasers rouges.
Il les avait déjà vu, mais Paul avait été celui qui les piégeait. Maintenant, c'était son tour.
‒ C'est l'un des âgés, prévint Paul. Il bougera plus rapidement que d'habitude. Tiens-le éloigné des civils et je le frapperai avec l'eau bénite.
Les mains de Beck tremblèrent alors qu'il déposa son sac de piégeur sur le béton. L'adrénaline se réveilla dans son corps et il se força à respirer profondément. C'était la partie du boulot qui lui flanquait la trouille, et il vivait pour ça.
‒ Tu seras prudent, d'accord ? demanda Paul.
‒ Oui, monsieur, répondit Beck.
Il sortit rapidement le tuyau et les entrailles qui serviront d'appât. Paul avait déjà une sphère d'Eau bénite dans la main, prêt à la jeter au moment où le démon s'en prendrait à Beck. Si il touchait le démon au visage avec la boule de verre, il serait inconscient assez longtemps pour l'immobiliser. Ce n'était pas une méthode de capture parfaite, mais en général cela fonctionnait. Quand ça ne marchait pas, les piégeurs étaient blessés … ou tués.
N'étant plus fasciné par le contenu d'une poubelle, le démon manifestait un intérêt profane à un adolescent. Le gamin était occupé à prendre des photos du monstre avec son téléphone portable, sans doute pour impressionner ses copains.
Idiot !
‒ Dégage de là ! cria Beck, déjà en route.
Surpris, l'ado regarda par dessus son épaule, pris au dépourvu. Le démon choisit ce moment pour lancer son attaque.
Beck prit de la vitesse, les jambes frappant le sol dans l'espoir de couvrir la distance plus rapidement. Tandis qu'il courrait, il jeta le sac contenant les entrailles pour qu'il atterrisse au loin, sur la gauche du gamin. Le Trois l'ignora, se dirigeant sur un repas beaucoup plus large.
Criant pour attirer son attention, Beck se plaça entre l'ado et le Trois. Il donna un coup de hanche au garçon vers un wagon qui était ouvert.
‒ Pars ! cria Beck.
Le gamin trébucha, heurta le sol du train et glissa, ses doigts encore verrouillés sur son téléphone. Bien que les civils avaient libérés le passage, Beck se trouva au mauvais endroit. Il essaya de se retourner rapidement pour éviter le démon, mais il laboura son bras de ses griffes empoisonnées tandis qu'il chargeait. Il hurla sous la douleur.
Dans un fracas effrayant, une sphère d'Eau bénite se brisa contre la paroi du train, éparpillant du liquide et des fragments de glace dans toutes les directions. Elle avait juste manqué la tête du démon.
Au grand soulagement de Beck, les portes du wagon se fermèrent et le train quitta la station.
Au moins, le gamin est sauf.
Son départ accapara assez longtemps l'attention du démon pour que Beck recule et jauge la situation. Le Trois fit de même alors que de la salive coulait le long du menton. Il lui lança un regard noir de ses yeux rouges flammes. Il tressaillit à la vue du sang et de la chair sur les griffes de la créature.
Beck raffermit sa prise sur le tuyau. Il était chaud au toucher.
‒ Piégeurrr ! cria le démon alors qu'il se jeta sur Beck.
Il l'écrasa avec son tuyau, mais il s'y prit trop tard. Au lieu d'un coup ferme, le Trois accrocha l'arme de sa griffe, l'utilisant pour le rapprocher. Avant qu'il réalise ce qu'il était en train de se passer, ses dents claquèrent à quelques centimètres de son cou, sa mauvaise haleine le brûlant alors que l'odeur nauséabonde de la fourrure putride envahit son nez.
Une boule de verre s'écrasa contre l'épaule du démon, mais il n'y eut aucun effet. Beck relâcha le tuyau et plongea sur le coté. Au lieu de la lâcher, le démon lança l'arme à travers l'espace ouvert et directement sur lui. Quand il leva le bras pour se protéger, elle rebondit contre l'os, tapant son front au passage. La tête de Beck explosa de douleur et il tomba presque à genoux. S'il le faisait, il était mort.
‒ Dégage de là ! interpella Paul, la panique dans sa voix.
Quand Beck obtempéra, une autre sphère d'Eau bénite fendit l'air, mais elle rata la cible. Il saisit le tuyau, mais le monstre bougeait déjà, courant vers lui. Ils tombèrent sur le béton et roulèrent, leur élan les emmenant hors du quai, dans le trou crasseux qui se trouvait plus bas.
Il atterrit lourdement sur le dos, le souffle coupé, lui coûtant de précieuses secondes pour reprendre sa respiration. Regardant frénétiquement autour de lui, il jura quand il vit que le tuyau n'avait pas fait le voyage avec lui. Il réalisa aussi qu'il était proche du chemin de fer, celui qui apportait de l'électricité pour faire fonctionner les trains. Il s'en éloigna rapidement.
Pas étonnant que Paul n'avait pas jeté une autre sphère, pas avec Beck si proche de cette énorme source d'énergie. Se faire griller n'était pas amusant en soi.
‒ Den ? appela son ami, son visage dépassant le bord du quai. Ça va ?
Beck répondit oui d'un signe de tête et se releva, cherchant le démon. Il était environ cinq mètres plus loin, se levant lui aussi sur ses pattes griffées. Il était ravi de voir qu'il avait été blessé : un bras était sectionné et du sang noir dégoulinait.
Un faible grondement emplit la station alors qu'un train arriva de l'autre côté du quai. Ce qui voulait dire qu'il y avait plus de monde à présent, plus de chance pour quelqu'un de se faire blesser. Le démon leva sa gueule et renifla l'air, sentant des proies fraîches.
Beck recula lentement. Il n'avait pas d'armes, et s'il courait, le monstre le poursuivrait et le mettrait en morceaux. Si le démon le suivait sur le quai, cela s'aggraverait rapidement. De là, la créature avait deux ou trois moyens de s'échapper et beaucoup de gens qu'il pouvait blesser au passage. Bien que les flics du MARTA essayaient d'évacuer les curieux, les gens ne bougeaient pas. Pas quand il y avait autant de tension.
‒ Je dois le garder en bas avec moi.
Beck prit connaissance que son ami était sur sa gauche, debout sur le quai.
‒ Ça craint presque, Paul, interpella-t-il.
‒ Je suis d'accord. Je n'ai pas d'opportunités, pas avec toi en bas.
‒ Je sais et si je sors, le démon me suivra droit jusqu'au les civils.
Paul se retourna et cria à l'un des flics du MARTA, l'implorant de faire évacuer le quai. Ils faisaient de leur mieux, mais certains des passagers refusaient de partir, leur téléphone sortit, juste au cas où cela s'avérait être un moment choquant à poster sur Youtube.
Un plan commença à germer dans l'esprit de Beck.
‒ Donne-moi mon tuyau et une sphère, exigea-t-il.
‒ L'eau n'est pas ton ami à l'heure actuelle, prévint Paul.
‒ Je sais, répondit-il.
Il ne l'était pas non plus au démon.
Les objets demandés lui parvinrent, ainsi que le marmonnement inquiet de son ami. Beck serra le globe tout près de sa poitrine, et brandit le tuyau.
Le démon déplaça son poids vers l'avant, un signe qu'il était sur le point de courir.
‒ Mâcher tesss os ! cria-t-il alors qu'il fonça sur lui.
Beck le frappa fort à la poitrine, et encore, la créature le griffa alors qu'il passa devant, se rapprochant dangereusement.
Ah, merde.
Beck pivota et recula, n'ayant jamais eu la chance d'utiliser la sphère.
Ce n'est peut-être pas une bonne idée après tout.
Alors que le train de l'autre coté du quai commença à quitter la station, Beck jeta un coup d'oeil par-dessus l'épaule du démon. C'était seulement une question de temps avant qu'un train arrive sur cette voie. Il pouvait peut-être l'utiliser à son avantage.
Il leva les yeux vers le panneau électronique, espérant voir quand le prochain train arriverait. Le panneau affichait une publicité pour un concert.
‒ Merde, murmura-t-il.
Le démon respirait bruyamment à présent et jetait un coup d'oeil à maintes reprises vers Paul et le quai. Au lieu de tuer, évaluait-il ses chances de fuir ?
C'était l'heure de rendre la créature folle. Si elle essayait de le tuer, elle n'aurait pas les idées claires.
‒ Hé, le démon, comment ça va pour toi ? appela Beck. Tu es le plus fort des anciens de Lucifer ? (Il renifla.) Pas étonnant qu'ils l'aient éjecté du Paradis.
Le démon grogna à la mention du nom de son maître. Ils détestaient qu'on leur répète qu'ils n'étaient rien d'autre que des esclaves de l'Enfer.
‒Allez, abruti. Finissons-en. Ou as-tu peur d'un petit piégeur.
Le démon laissa échapper sa colère en rugissant, agitant ses bras dans l'air.
Maintenant !
Il lança le tuyau comme un boomerang vers la tête du Trois. Il plongea, comme l'avait espéré Beck. Il courut, jetant la sphère directement à la tête du démon. La sphère éclata, faisant jaillir le liquide sacré. Avec un grognement, le monstre s'effondra sur les genoux, entre les rails, luttant pour rester conscient.
Un faible bruit fit lever les yeux de Beck alors qu'un train surgit du tunnel, si proche qu'il sentit la vague de pression de l'air qui s'élevait juste à l'avant de la machine.
‒ Den ! Sors de là ! Cria Paul.
Beck fit un bond désespéré vers le quai, ses genoux percutant le bord alors qu'il essaya de se hisser. Le klaxon fendit l'air, suivit par le cri perçant des freins alors que le conducteur de train réalisa qu'il y avait du monde sur les rails.
Des mains le saisirent et l'extirpèrent. Beck sentit quelque chose tirait sur l'arrière d'une de ses bottes, l'enlevant presque. On entendit un cri aigu. Pendant une seconde, il crut que cela provenait de lui. Il y eut un craquement écœurant puis le bruit d'étincelles.
Après ce qui fut une éternité, Beck se força à respirer.
‒ Mes jambes … Elles sont toujours là ?
Il savait comment, parfois, on ne réalisait pas la présence de graves blessure tout de suite. Il l'avait appris personnellement.
Paul l'examina alors qu'il s'agenouillait près de lui.
‒ Tu vas bien. Je ne vois rien qui manque. Où as-tu mal ?
‒ Partout, marmonna Beck.
Il soupira. C'était le train qui avait tiré l'une de ses bottes. Ça a été chaud. Avec un effort considérable, il leva doucement la tête.
‒ Le Trois ?
‒ De l'histoire ancienne, répondit Beck entre de profondes respirations, les yeux grands ouverts.
Il tremblait et cela l'effraya plus qu'autre chose.
‒ Oh seigneur, Beck, ton dos est tout lacéré.
‒Non, sans blague.
‒ Beck mit sa joue contre le béton froid alors que toutes blessures envoyaient des messages « oh mon dieu, ça fait mal » à son cerveau surchargé. Au moins, il ne s'était pas transformé en sushi comme le démon.
L'air se remplit doucement d'une odeur nauséabonde et écœurante de fourrure brûlée alors que des excités et le crépitement des radios de police s'élevèrent autour d'eux.
A la fin, avec l'aide de Paul, Beck s'assit, ce qui fit palpiter son dos en même temps que sa blessure au cuir chevelu. Il dressa le sinistre inventaire : la poussée d'adrénaline lui donnait la nausée, ses mains et ses genoux étaient écorchés et il y avait trop de sang sur son pantalon et le devant de son t-shirt pour que ça soit de bonnes nouvelles.
‒ Les pompiers et le Hazmat sont en route, s'exclama l'un des flics du MARTA.
Ah merde. Pas encore.
Alors que quelqu'un eut un haut-le-coeur à cause de l'odeur nauséabonde du démon rôti, une annonce fut transmise par l'interphone, déclarant que ligne nord-sud du MARTA était hors-service pour le moment. Cela allait faire chier certaines personnes, surtout ceux qui se dirigeaient vers l'aéroport.
Et je suis responsable. Tout ce qu'il voulait, c'était rendre Paul fier de lui, mais comme la plupart des choses dans sa vie, tout était parti en vrille. Je devrais peut-être renoncer maintenant.
Paul se leva et montra sa carte alors qu'un flic approchait.
‒ Je suis le maître piégeur Blackthorne et voici mon apprenti. On nous appelé pour s'occuper d'un démon de Classe Trois.
‒ Ce n'est pas ce qu'on a entendu dire, répondit l'homme en fronçant les sourcils. On nous a signalé qu'un fou jouait à chat avec un démon et jetait des gens sur les rails.
Beck garda le silence et laissa son mentor prendre l'initiative. Il était trop en colère et s'il se laissait faire, la situation s'aggraverait. Si c'était possible.
En dépit de l'approche placide de son ami, il fallut cinq minutes à Paul pour rassurer et faire comprendre au flic qu'ils n'étaient pas les ennemis. Ça n'empêcha pas le rassemblement de police d'autoriser le chien de l'équipe de déminage a vérifier leurs sacs de piégeurs mais aussi eux. Ça n'avait jamais le grand amour entre les piégeurs et les flics.
Quand le chien renifla Beck, il recula en éternuant. Avec un gémissement, il plongea derrière les jambes de son dresseur.
‒ Je ne l'ai jamais vu faire ça avant, dit le mec.
‒ Les chiens sont intelligents – ils ont peur des démons, et là, c'est ce que sent mon partenaire, expliqua Paul.
Le mec de l'équipe de déminage emmena son chien autre part.
Alors que tout se déroulait, l'épaisse fumée huileuse envahit la caverne, les restants du Trois frit polluant l'air et tous ceux qui étaient proches. Beck observa la scène, nul amusé, alors que les pompiers et les décontamineurs essayèrent de trouver un moyen pour gérer la situation. Il était prêt à parier qu'il n'y avait rien dans leur manuel pour celle-ci.
Quel bordel.
Paul l'aida à boiter jusqu'au banc en bois le plus proche puis s'assit à coté de lui, une bouteille d'Eau bénite à la main.
‒ Vas-y, dit Beck.
Il deviendrait de plus en plus malade si on ne traitait pas les blessures rapidement, les toxines amenant son corps à pourrir de l'intérieur.
Quand le liquide sacré toucha sa jambe lacéré, Beck ravala un juron, conscient qu'ils étaient dans un lieu public. Puis vient le bras et enfin le dos. La douleur atroce de ce denier le fit presque vomir.
‒ Ça tiendra jusqu'à ce que les docteurs te soignent, annonça Paul en glissant la bouteille vide dans son sac de piégeur. Mon dieu, tu t'es fait beaucoup de blessures.
‒ Ça n'a pas d'importance de toute façon, dit Beck, la voix tendue. Maître Harper avait raison – je suis un raté. Il va s'assurer qu'on me renvoie de la Guilde à cause de ça. Je devrais peut-être leur épargner cette peine et partir maintenant.
Paul se retrouva brusquement devant lui.
‒ Quoi ? Je croyais que tu étais plus dur que ça. Tu l'as toujours dit. Était-ce des conneries ou est-ce que le démon t'a tranché les couilles.
Beck recula, stupéfait. Il n'avait jamais entendu son ami parler comme ça.
‒ Ne fais pas comme si ce n'était pas grave. Les parents de ce gamin vont nous poursuivre, la Guilde et moi, en justice. C'est merd …
‒ Ce n'est pas un pique-nique, et ce n'est jamais facile, mais ce que tu fais est important. Tu as sauvé la vie de ce garçon, et maintenant tu penses que ça n'en valait pas le coup ?
‒ Mais j'ai foiré.
‒ Ça nous arrive à tous. C'est la vie. (Son ami fronça les sourcils.) Donc qu'est-ce qui m'attend ? Tu es des nôtres ou pas ? Dis-moi. Je dois savoir.
Si il arrêtait, Beck savait ce que les autres piégeurs diraient. Ouais, il a renoncé. Il n'avais pas le courage pour le faire. Il n'a jamais été un des nôtres. Puis ils diraient qu'il n'était pas de taille pour s'occuper du travail.
‒ Den, tu l'es ou pas ? demanda gravement son ami.
Paul méritaient une réponse.
Beck envisagea le futur et prit le risque.
‒ Je suis partant, murmura-t-il, tellement doucement qu'il se demanda s'il avait vraiment dit les mots.
Paul poussa un soupir de soulagement.
‒ Alors, dis-moi, qu'est-ce que tu as fait de mal ?
‒ Tout ?
‒ Non, pas complètement. La prochaine fois que tu pièges un Trois tu devras être un peu plus intelligent, à condition que tu apprennes quelque chose de ce … désastre. Alors parle-moi. Dis-moi ce que tu aurais changer ?
Laisser d'autre abruti capturer la créature ?
Sachant que ce commentaire allait lui causer seulement de la peine, Beck repassa la scène de la capture, étape par étape.
‒ J'aurais dû avoir une sphère avec moi, tout de suite, puisque j'allais être proche de cette créature.
Un signe de la tête comme réponse.
‒ Quoi d'autre ?
Je n'aurais pas dû obstruer ton champ de tir. J'étais sur le trajet la plupart du temps donc tu ne pouvais pas toucher le démon.
‒ Correct. Et … ?
Son regard se posa sur son mentor.
‒ Qui y a-t-il d'autre ?
‒ Ne joue pas à la poule mouillée avec un train, répondit Paul, le ton tranchant à présent. C'était complètement fou, Den.
‒ Ouais, eh bien, cela a éloigné le démon des civils.
‒ C'est vrai. C'était aussi incroyablement brave. Je ne sais pas si j'aurai eu le courage de le faire.
‒ La Guilde ne va pas le voir de cette façon.
‒ Ils pourront une fois qu'ils auront vu les images de surveillance, répliqua Paul. Ça pourrait nous sauver la mise.
‒ Ça a peu de chances et tu le sais.
‒ C'est à l'image de notre vie. Une chance puis une autre.
Ça pourrait nous sauver la mise. Il détourna les yeux, regardant dans le vide. Il ne s'agissait pas que de lui. Qu'allaient-ils faire à Paul ? Ils le renverraient pas de la Guilde à cause de moi, n'est-ce pas ?
Beck n'osait pas poser la question. Il remarqua un homme costaud se soustraire du cercle de flics de la MARTA et se diriger vers eux. Il avait la carrure d'un secondeur1 et portait un costume sombre et une cravate bleue. Son expression sérieuse.
‒ Vous êtes le piégeur qui a jeté mon fils dans le train ? demanda-t-il, les yeux fixés sur Beck. Sa voix était profonde et retentissante.
Nous y voilà.
‒ Oui monsieur, c'est moi.
Il ne voyait pas aucune raison pour ne pas en prendre pour son grade.
‒ Viens ici, fiston, ordonna-t-il.
L'ado qui s'était mis en danger s'approcha, l'une des lacets de ses chaussures montantes défait. Il haleta comme s'il avait couru. Le garçon regarda le sol, son téléphone dans la main comme si c'était un membre permanent de son corps.
‒ Alors qu'est-ce que tu dis à cet homme, Billy ?
‒ Ah … (le garçon leva les yeux vers Beck.) Merci. Ce que vous avez fait était … génial.
‒ Tu vas bien ?
‒ Ouais, dit-il en souriant. Je suis revenu en courant depuis la station Five Points pour voir ce qui se passait. J'ai même des infos dans mon téléphone.
‒ Je suis sûr que tu en as. (Beck grimaça quand il essaya de se redresser.) Simplement, promet-moi que tu t'éloigneras de ces monstres, tu m'entends ?
‒ Oui, monsieur. Je ne m'en approcherai plus.
Monsieur ? Beck trouva ça amusant. Il n'avait pas plus de quatre de plus que ce garçon mais pourtant il avait l'impression d'en avoir cinquante.
‒ Alors tout va bien, murmura-t-il.
Au moins pour le gamin.
‒ Mon fils m'a appelé pour me dire ce qui se passait, expliqua l'homme. Vous avez sauvé sa vie. Je ne l'oublierai pas.
‒ C'est notre boulot, monsieur, dit Beck.
L'homme tendit une carte de visite à Paul.
‒ Faîtes-moi savoir si ce jeune homme a besoin de quelque chose, d'accord ?
‒ D'accord. Merci, M … Dennis.
L'homme fit un signe de la tête, puis se dirigea vers la sortie, l'ado sur ses talons.
Paul rigola alors qu'il enfonça la carte dans une poche de sa chemise.
‒ Tu sais Den, tu dois avoir un ange gardien.
‒ Qu'est-ce qui te fait croire ça ?
‒Ce gentleman travaille dans les bureaux du gouverneur. C'est le médiateur.
Face à l'expression stupéfaite de Beck, il ajouta :
‒ C'est le genre d'homme que tu veux avoir sous la main si ça s'envenime avec la Guilde.
‒ Vraiment ? (Son ami acquiesça.) Eh bien, merde ...
Il fallut quelque efforts à Paul pour le mettre sur pieds. A son grand embarras, Beck s'aperçut qu'il avait des vertiges, la tête qui tournait comme s'il avait descendu un pack de six beaucoup trop vite.
‒ Et je voulais devenir piégeur … pourquoi ? murmura-t-il.
‒ Si je me souviens bien, tu as dit que ça t'aiderait à avoir du succès auprès des filles, répondit Paul, un rictus aux lèvres.
‒ Ouiiiiiii. On voit bien que je n'ai rien compris.
A peine franchirent-ils le tourniquet au niveau supérieur que quelqu'un leur barra la route.
Beck grogna. Il connaissait le mec – George quelque chose – un journaliste pour une des chaînes de télévision locales qui avait couvert son dernier grand fiasco.
‒ Hé Beck. Qu'est-ce qui se passe entre toi et les stations de métro ? demanda le mec, arborant un large sourire. Moi qui croyais que cela allait être une journée où l'actualité serait tranquille.
Il brandit un doigt dans l'air et le cameraman derrière lui alluma les lumières et commença à filmer.
‒ Nous sommes en direct de la station Peachtree du MARTA, commença le journaliste, où un sauvetage héroïque vient juste d'avoir lieu.
‒ Je ne suis pas un héros, grommela Beck entre ses dents.
Le petit coup de coude de Paul dans ses cotes lui indiqua que ce n'était pas le moment de faire le modeste.
‒ Maître Blackthorne, pouvez-vous nous donner un résumé de ce qui s'est passé aujourd'hui ?
Le micro se retrouva devant lui.
‒ Bien sûr que je peux.
Paul m'a toujours couvert. Pourquoi tournerais-je le dos à cette homme ?
Quand Beck finit par atteindre la rue, il s'effondra sur le banc pendant que Paul partit chercher la voiture. Il avala d'une bouffée d'air frais, croyait pouvoir encore sentir le démon rôti sur ses vêtements. Ses vêtements commencèrent à claquer alors qu'une fièvre s'empara de lui, bien que ses blessures aient été traitées par de l'Eau Bénite. Avec le temps, les blessures provoqués par les démons ne le gênerait plus autant, mais là, il bénéficiait de la version épouvantable du traitement.
Au moins, je ne suis pas une tache d'huile sur les rails.
Alors qu'il méditait sombrement sur ses chances de garder son boulot, deux petits pieds apparurent près de ses bottes tachées de sang. Il leva les yeux pour trouver une petite fille, de quatre ans peut-être, le regardant attentivement. Il essaya de sourire, mais mêmes ses lèvres faisaient mal.
‒ Salut, dit-il, la voix forte.
‒ Salut, répondit-elle.
Elle avait de gros yeux et les cheveux bruns, qui lui rappelait la fille de Blackthorne en quelque sorte. Cette petite pourrait être une mini Riley, bien que son nez soit plus court et ses yeux avaient plus une couleur verte que marron.
Après avoir jeté un regard vers sa mère, sûrement pour trouver du courage, la fillette lui offrit un petit cornet de crème glacée.
‒ J'ai vu ce que tu as fait. Dézolée que tu sois blessé, dit-elle avec un léger zézaiement.
‒ Merci. C'est super gentil de ta part, dit-il en prenant le cadeau, espérant que la gamine ne remarque pas le sang sur ses mains.
Elle recula sans faire de bruit vers ses parents, soudain timide. Son père leva le pouce, geste que Beck retourna, puis ils partirent, la petite fille tenant leur mains et parlant avec animation.
Au moins, quelqu'un m'aime.
Il avait même gagné un cornet à la vanille dans l'histoire. Il lécha une grande partie de la glace et laissa l'onctuosité froide fondre dans sa bouche. Le goût était plutôt bon. En plus, il n'avait jamais pu résister à un joli sourire.
Peut-être que sa vie ne craignait pas autant comme il le pensait. Il faisait ce qu'il aimait, même si le travail s'efforçait de le tuer. Si la Guilde prenait une décision en sa faveur – et cela serait un miracle – un jour, il serait un compagnon, même un maître piégeur de démon comme Paul.
Non, ce n'était pas la fin de sa carrière.
Peut-être que c'était simplement le début.
1Poste au football américain
Tags : Démons personnels, Jana Oliver, Histoire courte, Short story
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